SNCF : le coût faramineux des billets gratuits des cheminots

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VIDÉO. La Cour des comptes dénonce le système des « facilités de circulation » en vigueur à la SNCF, qui permet à plus d’un million de personnes de voyager pour pas cher…

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Modifié le – Publié le | Le Point.fr

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Quand un agent EDF ne paie que 10 % de sa facture d’électricité ou qu’un salarié d’Accor réserve une chambre d’hôtel avec une réduction de 30 %, il n’enlève rien à personne. Mais quand un agent SNCF voyage gratuitement dans un train, il prend la place d’un client lambda. Or, en période de pointe, ces places peuvent être chères, dans tous les sens du terme. « La présence de nombreux bénéficiaires de facilités de circulation peut conduire sur les trains complets à des effets d’éviction ou de quasi-éviction de clients », écrit la Cour des comptes dans un rapport sur la SNCF qui stigmatise, entre autres, ces « facilités de circulation », c’est-à-dire la faculté offerte aux cheminots et à de très nombreux ayants droit de voyager sans bourse délier ou presque.

Le détail de ces privilèges est assez édifiant. Chaque agent et chaque retraité de la SNCF a droit à la gratuité totale sur chaque billet de train, ainsi qu’à huit réservations. Leurs enfants et leurs conjoints (ce qui s’étend aux concubins et partenaires de pacs) bénéficient de huit « cases gratuites » (en gros, un aller-retour en deux jours) et à 90 % de réduction sur tous les trains. Encore mieux : les parents et grands-parents de chaque cheminot et ceux de son conjoint ont eux aussi droit à quatre « cases gratuites », un avantage qui peut se monter à 1 000 euros par an. Au total, ce système très avantageux bénéficie à 1,3 million de personnes.

Trains bondés

Les magistrats de la Cour des comptes sont un peu énervés. En 2013, ils s’étaient déjà émus de ces privilèges, demandant à la SNCF de les réduire. Rien n’a été fait, au contraire. Selon leurs calculs, le nombre de bénéficiaires a augmenté d’environ 20 % depuis 2011. Bizarrement, et à la différence de la plupart des entreprises, le nombre d’ayants droit directs (les cheminots et leur famille proche) ne représente que 35 % du total. Ce sont donc les retraités et la parentèle très lointaine, comme les grands-parents du conjoint, qui représentent la population la plus vaste de bénéficiaires !

Les clients du train ne sont pas les seuls à pâtir de ce système. Les places qu’ils ne peuvent pas acheter dans un train bondé coûtent aussi à la SNCF. Les magistrats de la Cour ont fait les comptes : ils ont évalué à 30 millions d’euros par an cet « effet d’éviction ». Au total, en prenant en compte les facilités offertes à tous les bénéficiaires, la note s’alourdit : la perte pour l’entreprise s’élève, selon le rapport, à 220 millions par an. Le montant est d’ailleurs une hypothèse basse, puisqu’elle ne comptabilise pas les nombreux voyages à prix très réduit sur les trains sans réservation obligatoire, comme les TER. Évidemment, il est difficile d’imaginer que la SNCF mette fin à l’ensemble du dispositif pour récupérer ces 220 millions. Mais en le limitant aux seuls agents actifs, conjoints et enfants, la perte serait réduite à 80 millions d’euros. Un effort que la SNCF, regrette la Cour, ne semble pas décidée à fournir : le précédent rapport l’avait suggéré, en vain.

Pas de traces, donc pas d’impôts

Les « facilités de circulation » ne pèsent pas que virtuellement sur les comptes de la SNCF. Une centaine de salariés répartis dans onze agences sont dédiés à la délivrance de ces titres de transport un peu particuliers, ce qui coûte à l’entreprise ferroviaire. Elle doit par ailleurs payer près de 20 millions d’euros de charges patronales et salariales. La « facilité de transport » est en effet un avantage en nature qui dépasse le seuil de tolérance de 30 % de remise sur le prix public, qui déclenche le paiement de charges.

Dernière « victime » du dispositif : l’État lui-même, c’est-à-dire tout un chacun. S’il est considéré comme un avantage en nature, le billet pas cher n’est pas déclaré aux impôts, puisqu’il n’existe pas de dispositif de suivi individualisé (en gros, la SNCF n’enregistre pas le nom du retraité qui a réservé pour 0 euro ce Paris-Marseille en TGV). Pas de trace, donc pas d’impôt. La Cour des comptes évalue cette perte pour les caisses de l’État à 10 millions d’euros par an.

« Le système actuel des facilités de circulation, au-delà de la perte de chiffre d’affaires pour (la SNCF), conduit à des coûts importants pour le groupe et l’État, concluent les magistrats. L’absence de suivi individuel de ces avantages conduit à ne pas respecter les règles fiscales, ce qui n’est pas acceptable. Il est regrettable que les recommandations faites alors par la Cour en 2011 n’aient pas été suivies d’effet. » Pas sûr qu’elles le soient à quelques jours d’une grève qui s’annonce très suivie dans les transports…

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