SNCF : pour retrouver un semblant de vie privée, certains cheminots pratiquent la grève en solitaire

https://www.marianne.net/economie/protection-sociale/sncf-pour-retrouver-un-semblant-de-vie-prive-certains-cheminots-pratiquent-la-greve-en-solitaire

Par Yovan Simovic Publié le

Le manque d’effectifs à la SNCF fait monter la pression sur les cheminots qui voient leurs demandes de congés refusées à répétition. Certains ont trouvé une parade pour prendre un jour ou deux de repos en se déclarant en grève.

Aux grands maux, les grands remèdes. Certains conducteurs de la SNCF, excédés après des demandes de congés retoquées à la pelle, utilisent leur droit de grève pour s’absenter de leur poste une journée et tenter, tant bien que mal, de conserver une vie personnelle et familiale. Une information parue dans le journal Le Monde ce jeudi 17 novembre, que confirme Fabien Dumas, secrétaire fédéral SUD Rail : « Effectivement, c’est assez répandu, on fait partie de ces métiers qui ont pour contrainte principale la continuité du service public, particulièrement pendant les vacances, c’est assez compliqué. »

Le principe est simple. Depuis la loi de 2007 sur le service minimum, les syndicats sont dans l’obligation de faire une demande de concertation immédiate (DCI), quinze jours avant le dépôt d’un préavis de grève. Un délai censé permettre à la SNCF de s’organiser en amont. Dans les faits, les organisations syndicales ont réussi à contourner le problème en mettant en place des « préavis dormants », sans date de fin. « Il y en a quatre au niveau national », confirme la direction des ressources humaines de la SNCF au journal Le Monde. Le premier, déposé par Sural, date de 2018, au moment de la réforme de la SNCF, transformée en société anonyme. Les trois autres, émis par SUD Rail, la CGT et l’UNSA ensemble, et la CFDT, remontent au 4 décembre 2019, au moment de la contestation de la réforme des retraites. FO a aussi un préavis qui court jusqu’en 2050 sur l’axe TGV Nord.

Pour rejoindre les mouvements de grèves, les cheminots doivent déposer des déclarations individuelles d’intention (D2I), 48 heures au moins avant le début du mouvement. Il est donc possible aux conducteurs de train notamment, de déposer un D2I sur un « préavis dormant », pour ne pas se rendre au travail, sans risquer le blâme. « Nous sommes pour une utilisation de l’outil syndical dans un but d’action collective, donc on trouve ça dommage que certains l’utilisent à des fins personnelles, mais vu la situation de nos collègues, on peut comprendre qu’ils aient recours à ce genre de pratique », détaille Fabien Dumas.

En dernier recours

Le syndicaliste relate des cas très concrets d’employés de la SNCF qui se font retirer leurs congés au dernier moment alors qu’ils ont pris des rendez-vous chez des médecins spécialisés trois mois à l’avance. Plus grave encore, un conducteur a retrouvé son enfant dans sa poussette sur le palier de chez sa nourrice car pour la cinquième fois, il se présentait au domicile de cette dernière avec plusieurs heures de retard. « Les cheminots ont donc inventé les congés non payés », ironise Fabien Dumas. « Quand ça fait quinze fois qu’on annule les vacances ou les week-ends, au bout d’un moment, soit vous divorcez, soit vous trouvez une solution », ajoute-t-il.

Pour Rémy Hours, secrétaire général de la CGT des cheminots de Marseille, il s’agit de cas marginaux. Même s’il admet que « lorsque vous allez demander un samedi dimanche pour des raisons privées, vous êtes sûr à 90 % que cela va vous être refusé », le syndicaliste précise que « les collègues savent aussi qu’en utilisant D2I à des fins personnelles, ils vont automatiquement reporter la charge sur les autres, et peut-être faire travailler quelqu’un qui était censé avoir son week-end ». Même son de cloche du côté de Flore Mollet, déléguée syndicale CFDT SNCF, qui assure que cela reste des « cas isolés en dernier recours » et vante « un professionnalisme » des cheminots et une « conscience professionnelle forte ».

Tous les syndicalistes interrogés s’accordent sur une chose : le sous-effectif inquiétant qui dégrade les conditions d’exercice du métier en augmentant le nombre d’heures de travail et en réduisant la possibilité de poser des congés. « Le métier n’est plus attractif, Il manque 1 200 conducteurs de train et 800 aiguilleurs. En PACA, dans les Hauts-de-France et d’autres régions, il y a des plans transports adaptés car on n’arrive pas à tenir la cadence », s’insurge Fabien Dumas. Il assure que si l’on enlève les départs à la retraite, entre janvier et septembre de cette année, il y a eu une hausse de 107 % des départs par rapport l’année précédente. Et de souligner les faibles rémunérations de ces métiers au regard de la pression quotidienne : « Les mecs, s’ils se trompent dans leurs boulots, c’est deux trains qui se rentrent dedans avec responsabilité pénale », rappelle le syndicaliste.

Poster le commentaire

Pin It on Pinterest

Share This