Le Lyon-Turin en six questions

Le Lyon-Turin en six questions

Le Lyon-Turin, la nouvelle ligne de chemin de fer transfrontalière de fret et de voyageurs, portée par la France, l’Italie et l’Europe, est à la traîne. Depuis 30 ans le projet n’a cessé d’accumuler les retards et les opposants. Point d’étape.

Le tunnel du Lyon-Turin a débuté, comme ici sur le site de travaux à Saint Martin la Porte. © Poudou99 / Wikimedia Commons

Régulièrement, le Lyon-Turin émaille l’actualité lyonnaise et nationale. Lancée en 1991, l’idée de cette ligne n’a cessé de zigzaguer et les retards s’enchaînent.

L’histoire de cette ligne est si complexe que l’on s’y perd facilement. Retour en six points sur ce projet titanesque qui rythme l’actualité de la région depuis 30 ans.

Le Lyon-Turin, qu’est ce que c’est ?

Le Lyon-Turin est un projet de ligne de chemin de fer pour relier les deux villes en passant sous les Alpes. L’idée a été mise sur la table pour la première fois en 1991.

Selon ces plans, la ligne sera composée d’un ouvrage traversant les Alpes, qui deviendra le plus grand tunnel ferroviaire du monde, avec 57 kilomètres de long. En tout, le projet prévoit 270 kilomètres de nouvelles voies, dont 140 kilomètres en France. Le chemin de fer doit traverser 71 communes.

Quels sont les principaux objectifs de la ligne ?

La ligne Lyon-Turin promet de nombreuses avancées concernant le transit de marchandises. Selon le site officiel du Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), l’entreprise chargée d’ouvrage du tunnel transfrontalier, plus de 44 millions de tonnes de marchandises traversent l’arc alpin occidental, dont 90 % transitent par la route.

Les promoteurs du projet estiment que 22 millions de tonnes pourraient passer par le Lyon-Turin. Cela régulera de fait le trafic routier dans les vallées alpines, destructeur pour la biodiversité locale.

De fait, la question de l’environnement est primordiale dans ce projet. L’objectif de dépolluer les vallées est avancé comme l’argument principal, ce qui ne convainc pourtant pas ses principaux opposants, souvent de tendance écologiste.

L’aspect touristique est également à prendre en compte, avec une accessibilité vers l’Italie reconnue comme séduisante par la SNCF. Avec cette nouvelle ligne, Lyon-Turin se ferait en 2 h et Paris-Milan en 3 h. Plus largement, le but est d’améliorer les connexions intra-européennes ainsi que la liaison entre l’Europe de l’est et de l’ouest.

Où en sont les travaux ?

Trente-et-un ans après le début du programme de la ligne Lyon-Turin, sur la table depuis 1991, la France fait figure de mauvaise élève dans l’avancée des travaux. Si les travaux du tunnel transfrontalier entre la France et l’Italie avancent, la plupart des nouvelles liaisons françaises au futur tunnel sont toujours à l’état de plan.

infographie, Lyon Turin tracé
Le tracé / © www.projet-lyonturin.fr

Stéphane Guggino, délégué général du Comité pour la transalpine Lyon-Turin, groupe de pression qui soutient le projet, s’est inquiété auprès de nos confrères de Lyon Capitale en juin 2022 que le tunnel, dont la livraison est prévue pour 2030, soit inauguré sans voie d’accès côté français.

Selon lui, ce retard s’accumule à cause d’un manque de volonté politique : « il faut insister sur la nécessité de prendre rapidement une décision. Le compte à rebours avant la livraison du tunnel est lancé. Côté français, on est plus dans les temps […], il y a une décision de l’Etat à prendre pour acter un tracé et puis engager rapidement les travaux ». La France est actuellement pressée par ses partenaires italiens et européens, agacés de voir Paris à la traîne. L’Etat était censé officialiser ses choix de tracé à la fin mars 2022. L’Union menace même de reporter ses subventions pour la partie française en 2027.

Interview de Stéphane Guggino, président de principal groupe de pression en faveur du projet Lyon Turin par Lyon Capitale.

La partie transfrontalière, elle, avance plutôt bien, même si les travaux n’ont débutés qu’en 2015, date à laquelle ils étaient censés se terminer à l’émergence du projet en 1991. Le tunnel de 57 kilomètres est en pleine construction.

Selon Stéphane Guggino, « 30 kilomètres de galerie dont 11 kilomètres de tunnels définitifs ont déjà été creusés. Il y a une montée en puissance ». En tout, c’est à peu près 20 % des travaux qui auraient déjà été réalisés.

Qu’en est-il de l’Italie ?

Du côté de nos amis italiens, les choses semblent être lancées. En mai dernier, le gouvernement italien a donné son feu vert pour la construction du dernier tronçon d’accès au tunnel, relaie France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Le président du comité Transalpin avait d’ailleurs souligné l’effort de décision à cette période.

Le « projet définitif » a également été mis en œuvre pour la RFI, l’équivalent de la SNCF en France. Ce dernier correspond à la partie du tracé italien qui rejoint les 50 000 mètres carrés de la plateforme de marchandises à la lisière de Turin. Les voies de raccordement de leur côté des Alpes sont également en construction.

L’enjeu du Lyon-Turin est crucial pour l’Italie. Le transport de marchandises doit être relancé : le fret ferroviaire ne représente que 13 % en Italie contre 19 % pour la moyenne européenne. L’ancien Premier ministre italien Mario Draghi a été un acteur clé de l’accélération de la construction de la ligne.

25 milliards d’euros d’investissement sont d’ailleurs prévus afin de doubler le trafic ferroviaire sur les réseaux à grande vitesse d’ici à 2030 et tripler d’ici à 2050.

Quel est le coût des travaux du Lyon-Turin ?

Construire une ligne ferroviaire de 270 kilomètres, dont 61 enfouis sous terre, ce n’est pas donné. Au-delà du tunnel principal, d’autres tunnels devront en effet être construits. Selon les chiffres de la Cour des comptes, 26 milliards d’euros seront nécessaires, relayait Lyon Capitale en 2012. Pour Stéphane Guggino, le coût final sera en réalité plus proche des 18 milliards d’euros.

Côté français, environ 8,6 milliards d’euros seront dépensés dans les 140 kilomètres de voies d’accès au tunnel et de liaisons des grandes villes à la nouvelle ligne transfrontalière, expliquent les promoteurs du projet.

L’UE s’est dit prête en 2021 à cofinancer les voies d’accès côté français à hauteur de 2 milliard d’euros, dans le cadre du nouveau règlement du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE), le programme européen qui finance les infrastructures de transport.

Cette décision, qui a fait la joie des promoteurs, n’a pas eu l’effet escompté : la France n’a toujours pas avancé sur le sujet depuis, malgré les annonces du gouvernement. En conséquence, l’apport restera gelé tant que l’État n’aura pas accéléré sa prise de décision concernant le tracé et le début des travaux.

Travaux Lyon Turin Train
Vue de convoyeur à bande de la descendrie de Saint Martin la Porte / © Poudou99 on Wikimedia Commons

La France prend aussi sa part de financement dans le tunnel transfrontalier de 57 kilomètres. Estimé entre 8 et 9 milliards d’euros au total, l’ouvrage est financé par Bruxelles à 55 % (soit environ 4,4 milliards d’euros), à 25 % par Rome et à 20 % par Paris. L’Etat devrait donc dépenser 1,8 milliard d’euros sur cette partie.

Les Italiens de leur côté devraient débourser 2,4 milliards d’euros pour le tunnel et 1,7 milliard pour leur 65 kilomètres de voies d’accès.

Les coûts du tunnel ont d’ailleurs drastiquement augmenté. Selon un rapport de la Cour des Comptes européenne de 2020, l’ouvrage afficherait un surcoût de 85 % par rapport à la première estimation dans les années 1990. Cela ne joue pas en faveur du projet, déjà décrié par de nombreux opposants, notamment écologistes.

Quelles sont les polémiques autour du projet ?

Le projet est l’objet de polémiques en tous genres. Tout d’abord, malgré l’objectif affiché de protéger l’environnement, les opposants pointent le coût écologique des travaux. Ils affirment que ce projet ne ferait qu’augmenter les émissions de gaz à effets de serre, car elle serait inutile.

En effet, il existe déjà une ligne transfrontalière entre la France et l’Italie pour le fret qui n’est presque pas utilisée. Selon eux, si cette ligne était pleinement utilisée, les résultats seraient équivalents ou supérieurs aux objectifs affichés par le nouveau projet.

La construction de la nouvelle ligne et son empreinte carbone sont également pointés du doigt. Un rapport de la Cour des comptes européenne précise que les émissions de CO2 des travaux seront compensées seulement entre 25 et 50 ans après la construction, relaie Reporterre.

La préservation de la nature est un argument supplémentaire pour les opposants. De fait, les environnements sont mis en danger dans certaines zones à cause des travaux.

L’empreinte écologique du projet est le principal point de divergence concernant le projet. C’est aussi celui où se cristallisent les principales tensions politiques, encore aujourd’hui. Les partis de gauche et écologistes ont montré leur désaccord depuis 30 ans. Les députés du Rhône Gabriel Amard (LFI-Nupes) et Marie-Charlotte Garin (EELV-Nupes) ont d’ailleurs manifesté en juillet en France et en Italie contre ce projet qu’ils jugent « écocide ».

Cette accusation a offusqué Jean-Louis Touraine, ancien député LReM du Rhône, qui juge leurs propos « égoïstes » et contre l’avis de la population, relaie Le Progrès. En réaction, les députés de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) se sont étonnés de la conscience écologique soudaine de Jean-Louis Touraine et réaffirment que la défense stricte d’une protection durable et pérenne de la vallée de l’Arve passe par l’utilisation de la voie et du tunnel existant et l’abandon du nouveau projet, décrit Le Progrès.

Du côté des soutiens politiques, le discours est diamétralement opposé. En juillet dernier, une visite sur le chantier en Maurienne de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable (ATDD) du Sénat a eu lieu. D’après un reportage de Maurienne TV, l’enjeu de cette visite était de « découvrir ce chantier », selon Jean-François Longeot, président de la commission. « Les études ont bien été faites puisque les délais ont été respectés et le budget respecté », a-t-il estimé.

La visite des sénateurs sur différents sites du chantier. ©Maurienne TV

Ce qui alimente aussi les clivages, c’est la lenteur de la prise de décision et l’immense retard qu’accuse le projet. Déjà très coûteux, il est en étude depuis plus de 30 ans. Chaque avancée est infime et cela n’aide pas à faire diminuer les prix.

Les habitants situés sur le tracé sont aussi au cœur des polémiques du Lyon-Turin. Pour les besoins des travaux, ce ne sont pas moins de 6 800 expropriations qui ont été prononcé par l’Etat. La colère locale est très présente, formant une opposition qui donne de fil à retordre aux promoteurs des deux côtés des Alpes, avec la figure de Daniel Ibanez en France, et le mouvement No TAV en Italie

Corruption et mafia

Comme si cela ne suffisait pas, le projet est entaché d’antécédents judiciaires. De fait, plusieurs enquêtes du Parquet national financier (PNF) et de l’Office européen de Lutte Anti Fraude (OLAF) ont visé directement ou indirectement Hubert du Mesnils, président de la LTF puis de TELT, les sociétés chargées successivement de l’ouvrage transfrontalier, pour des soupçons de fraude.

En janvier 2015, l’OLAF ouvre une enquête suite à un signalement de deux eurodéputés écologistes français à propos de soupçons de conflit d’intérêt sur le projet, incluant des entreprises françaises (dont la LTF) et italiennes. Onze mois plus tard, le premier volet du rapport de l’office, qui porte sur l’utilisation des fonds européen par LTF, conclut à « l’absence d’irrégularité ».

Hubert du Mesnils, TELT, Lyon Turin
Hubert du Mesnils en 2009 / © Fondapol – Fondation pour l’innovation politique Wikimedia Commons

En décembre 2016, c’est l’association Anticor qui saisit le PNF. Le parquet ouvre alors une information judiciaire sur Hubert du Mesnils que l’association anti-corruption soupçonne de prise illégale d’intérêt. Mais cette enquête est classée sans suite en février 2017, décrit France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Cette décision se base sur ce même rapport de l’OLAF de 2015. Ces différentes enquêtes ont contribué à alimenter les polémiques et à entacher l’image du projet, déjà peu reluisante.

De l’autre côté des Alpes, l’Italie aussi a eu sa dose de contentieux financiers, notamment à cause de d’intrusions mafieuses dans les contrats et directement sur le chantier. Depuis le début des travaux, trois dirigeants italiens du chantier ont démissionné après des révélations les impliquant dans une affaire de trucage de marché publics. Deux ont été jugés et condamné à Turin en 2011. Il s’agit de Paolo Comastri, le directeur général de la LTF et de son directeur des travaux, William Benedetto

Les associations antimafia s’inquiètent aussi de possibles infiltrations sur le chantier. Fabrice Rizzoli, président de Crim’HALT, soupçonne lors d’une interview pour Secret d’Info les sociétés sous-traitantes de sécurité d’être une porte d’entrée pour la mafia sur le site. Il pointe également le risque d’un trafic de drogue pour faire tenir des cadences impossibles aux travailleurs.

Face à ces intrusions mafieuses, François Hollande et Matteo Renzi ont signé en mars 2016 un protocole supplémentaire à l’accord de 2015, prévoyant un règlement des contrats de sous-traitance. Ceux-ci ne peuvent être signés qu’avec des entreprises pré-sélectionnées dans une « liste blanche », établie au préalable. Aussi les polices française et italienne patrouillent régulièrement sur le chantier pour lutter contre la présence mafieuse sur le site.

Cette ombre de la mafia qui plane sur le projet lui fait perdre du temps et de l’argent, en plus de donner des arguments à ses opposants qui peuvent facilement et à raison alimenter les polémiques.

Bref, le Lyon Turin n’est pas prêt de voir le bout de son tunnel.

Titouan Catel–Daronnat et Pénélope Jobert

 

 

 

 

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